A défaut de toujours parler d’une voix unique, l’Union européenne a tout à gagner à se forger une diplomatie propre, surtout vis à vis de cette puissance majeure qu’est la Chine. Loin d’être une naine, l’UE a de nombreux atouts à faire valoir pour défendre ses valeurs, en particulier les droits humains.
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Par Josselin Chesnel, co-fondateur de Breizh Europe Finistère
On ne dit en fait jamais assez combien la Chine est et sera puissante.
Entamée dès les années 1970, la progressive libéralisation commerciale chinoise se fait totale en 2001, avec entrée du pays au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Entre-temps, le pays s’était ouvert politiquement, notamment par le biais de son intégration au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), devenue ensuite membre permanent de son Conseil de sécurité…entre autres choses.
La puissance de la Chine en quelques chiffres
La Chine actuelle, s’il s’agissait de mettre quelques gros chiffres en perspective,
c’est :
– 23 fois la surface de la France ;
– la 2è puissance économique mondiale ayant, au cours des 20 dernières années, successivement dépassé les grandes puissances économiques ;
– depuis 2012, c’est la 1ère puissance commerciale mondiale, et 13 % des exportations mondiales ;
– comme superpuissance mondiale, c’est aujourd’hui 16 à 18 % du PIB mondial, et ⅓ du PIB asiatique ;
– c’est 22 % de la population mondiale, soit quasiment 1,4 milliard d’êtres humains ;
– c’est une classe moyenne qui s’élève à hauteur de plus de 530 millions d’individus, soit quasiment 40 % de sa population, et donc un potentiel demarché énorme ;
– c’est une réussite, en matière de lutte contre la pauvreté, qui est exceptionnelle : en 1990, plus de 700 millions de Chinois, soit plus de 65 % de la population du pays, étaient pauvres. Aujourd’hui, ils sont autour de 0,5
% ! ;- mais, et cela a une importance, la Chine, ce sont seulement 8 % des terres cultivables… forcément, son gouvernement a donc besoin d’acheter des produits alimentaires étrangers, notamment européens et américains.
En outre, il est un fait historique contemporain majeur qu’il convient de signaler :
Aujourd’hui, c’est bien la Chine, qui incarne le libre-échange qu’incarnaient, jusqu’à récemment, les Etats-Unis d’Amérique. Il s’agit de le comprendre : le libre-échange, pour la Chine, ce sont 700 millions d’individus sortis de la pauvreté dans laquelle ils se trouvaient.
En quoi la Chine est-elle devenue une superpuissance ?
En fait, le comportement de la Chine, parfois agressif, paraît répondre à une forme de complexe de supériorité vis-à-vis des nations montantes, considérées comme des puissances relatives, un complexe de superiorité porté par les pays occidentaux (à savoir les Etats-Unis, les Etats membres de l’UE, le Canada, l’Australie…) et qui, selon la Chine, n’aurait que trop duré. La Chine, en fait, a mis fin à la politique dite du profil bas, pour lui substituer celle du “rêve chinois” cher à son président Xi Jinping, rêve chinois constituant LA feuille de route dans le cadre des politiques menées par le pays et des relations qu’il entretient ; rêve chinois ne s’astreignant – hélas ! – pas à un respect absolu de la dignité humaine en son sein…
Dans ce cadre, la Chine a une ambition internationale (parmi d’autres) : la conquête des marchés qui lui sont extérieurs. C’est, entre autres choses, ce qui nous fait craindre l’hégémonie nouvelle de cette superpuissance en mouvement bien convaincue que le 21è siècle est le sien. Cela se traduit de différentes manières, par exemple via l’investissement dans les infrastructures stratégiques européennes, à
l’instar de certains ports grecs et italiens, ou même des aéroports français.
En bref, la Chine a élevé ses ambitions à celles d’une puissance globale à part entière. Il convient, d’entrée de jeu, que nous prenions donc le risque d’affirmercombien c’est aussi parce que nous, Européens, avons une capacité d’influence très en retrait, que cette dernière est à l’avantage de la Chine.
Aujourd’hui, quelle est la réalité de l’autoritarisme chinois que certains Européens dénoncent ?
Ce qui tend les relations diplomatiques sino-européennes, depuis plusieurs semaines, c’est surtout la question relative au génocide présumé du peuple ouïghour, minorité chinoise de confession musulmane originaire de la région du Xinjiang, dont on suppose que le régime arrête et détient dans des camps lesdits individus, rééduque, torture, stérilise, viole et tue.
C’est malheureusement là la démonstration de la consolidation du pouvoir par le Parti communiste chinois de Xi Jinping, enclenchée il y a des années, et se traduisant notamment par la surveillance généralisée des médias et des citoyens, par un renforcement conséquent de la censure, par la généralisation des pratiques de mise en résidence surveillée, d’emprisonnement et d’excuses forcées, par d’importantes vagues de purges, etc.
La question chinoise des minorités, c’est en fait un véritable serpent de mer, le régime de Xi Jinping étant connu pour son opacité à l’endroit du respect des droits de l’Homme. Objet évident de toutes sortes de persécutions, les ONG font état de centaines de milliers d’incarcérations.
Les Etats qui, habituellement, défendent les droits de l’Homme, sont-ils intervenus ?
Ce n’est que récemment que l’Etat français et l’UE, à titre d’exemple, ont officiellement réagi, après déjà quelques années et au terme d’une campagne de sensibilisation notamment menée par l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann, provoquant ainsi la colère de l’appareil étatique chinois, au point d’enclencher des sanctions à l’endroit de plusieurs représentants politiques européens, et d’insulter ouvertement des chercheurs, notamment Antoine Bondaz, chercheur français. Ce vaste problème de l’irrespect des droits fondamentaux, que l’Union avait choisi, jusque-là, de ne pas voir pour ne pas bloquer les négociations environnementales et commerciales, n’existe plus depuis plusieurs semaines, et c’est heureux. En effet, le Parlement européen a récemment adopté des mesures de sanctions à l’endroit du régime de Xi Jinping, avant d’être suivi par d’autres puissances occidentales, à l’image du Canada ou encore du Royaume-Uni.
Concrètement, que doit faire l’Union européenne pour remédier à la situation vis-à-vis des droits de l’Homme ?
L’idée européenne n’est pas – et ne doit pas être ! – d’opérer une guerre de propagande, à l’instar de celle qui se fait entre les Etats-Unis d’une part, et la Chine d’autre part, mais bien d’opter pour une voix européenne propre. Cela affaiblirait considérablement nos diplomaties respectives, ce que nous démontrent les insultes de l’Ambassade de Chine en France à l’endroit du chercheur Antoine Bondaz, et que
nous tentons d’éviter justement. Effectivement, c’est un artifice de propagande qui se retourne forcément contre les Chinois. En somme, il s’agit là d’un discours qui affaiblit la nation chinoise avec lui, ce qu’il convient que nous évitions coûte que coûte en tant qu’Européens. Surtout, les Européens ne doivent pas suivre l’exemple américain, qui suppose une montée inexorable du sentiment anti-chinois dans la presse et au sein de l’opinion publique et qui, à des fins de politique interne, instrumentalisent ces désaccords profonds. Mais cette Chine nous préoccupe. Obsédée par la croissance économique, sa responsabilisation en matière de droits de l’Homme demeure nécessaire.
La Chine, si elle a pour logique d’avancer masquée afin de se faire 1ère puissance mondiale, ne pourra y parvenir sans de très sérieuses tensions avec les autres nations du globe. 1ère puissance commerciale dont l’ascension a été exceptionnelle, unique même dans l’histoire des nations, elle sera, dans 10 à 15 ans et pour la première fois depuis la Révolution industrielle, la 1ère puissance économique
mondiale, sans être anglo-saxonne, européenne ou même démocratique.
Pour nous, petits européens, que va-t-il se passer ?
L’UE, riche de détenir le 1er marché mondial, n’est pas si faible qu’on peut le prétendre ou qu’elle peut le prétendre elle-même, et est en mesure de se faire actrice globale. La question devant occuper les esprits européens n’étant pas tant celle de savoir comment contrer la dynamique chinoise ; elle serait plutôt celle de poser les fondements d’un dialogue exigeant, dans le respect des valeurs portées par l’UE, au premier rang desquelles le respect des droits de l’Homme. L’UE, pourtant si forte de son marché, importe 90 % de ses médicaments (et seringues, on l’a vu dans le cadre de la pandémie actuelle) de Chine et d’Inde : c’est
là une erreur stratégique ! La Chine, de son côté, va éprouver l’absolue nécessité de nourrir son peuple alors qu’elle ne dispose pas des terres cultivables suffisantes pour ce faire, à l’exception de celles qu’elle achète sur le continent africain. Pour y remédier, elle doit donc exporter. Car la Chine possède, on le rappelle, 8 % des surfaces cultivables du monde pour 22 % de la population globale, ce qui crée de facto un certain déficit alimentaire propre. Les Vingt-Sept, en réponse, pourraient appuyer l’absolue exigence du respect de la dignité humaine.
La Chine et son PIB ne sont pas – ne doivent pas constituer – une angoisse pour la France, mais bel et bien un défi de nature européenne. On l’a bien compris : le défi n’est pas français, il est éminemment européen, et c’était tout l’objet de ce billet.
Dans un monde réactif, qui va vite, qui secoue, il peut paraître judicieux de prendre le temps d’y réfléchir et, a fortiori alors que nous nous enfermons pour ne pas succomber à la pandémie, de penser le long terme. La Chine et l’UE, inévitablement, gagneraient au change à ce faire