Dans ses Mémoires d’outre-haine parues aux éditions Locus Solus, Kofi Yamgnane revient sur les trop nombreux courriers qu’il a reçus pendant sa carrière politique, la plupart du temps anonymes et remplis de propos haineux du fait de sa couleur de peau, noire, et de son pays d’origine le Togo. Dans cette réponse collective, l’ancien élu du Finistèrer évoque le racisme en France mais aussi l’esprit colonial, encore bien présent, et les failles de la République pour contrer ces dérives.

Mémoires d’outre-haine sur le site internet de Locus Solus

Depuis qu’il avait pris sa retraite politique en France, on voyait et on entendait moins Kofi Yamgnane. Il avait tenté l’aventure de l’élection présidentielle dans son autre pays, le Togo, et puis… et puis quoi ? En fait, il écrivait !

Les Mémoires d’outre-haine parues chez Locus Solus sont moins un récit de vie que la réponse collective d’un homme qui en a vu et subi de toutes les couleurs à cause de celle de sa peau : noire. On a dit de lui qu’il fut le premier maire noir de France métropolitaine quand il fut élu à la tête de l’équipe municipale de Saint-Coulitz. En fait il nous explique qu’il n’était pas tout à fait le premier. Cependant, nous Finistériens étions plutôt fiers d’avoir fait preuve de tant d’ouverture ! Sauf que… la réalité est moins rose que les peaux de la majorité des Français.

Kofi Yamgnane l’a bien mesuré au fil des milliers de courriers indignes qu’il a reçus tout au long de sa carrière politique, qui l’a transporté du Conseil général du Finistère au secrétariat d’État à l’intégration, en passant par le Conseil régional de Bretagne et l’Assemblée nationale.

Certes, la politique c’est souvent violent, mais quand, en plus, on a « une autre couleur que celle de la majorité » c’est…presque l’enfer parfois.

Un racisme qui zigzague de gauche à droite

Pour raconter le racisme ordinaire qu’il a subi et répondre collectivement à ces « courageux » anonymes (pour la plupart), Kofi Yamgnane a choisi la forme des veillées contées à la mode du pays Bassar d’où il est originaire, mais aussi à la mode de la Bretagne qu’il aime tant. Il évoque d’ailleurs ses deux terres dans ses récits, ce qui les rapproche surtout.

Mais il narre aussi et surtout la bassesse humaine, cette ignorance qui crée la peur et pousse à exclure la différence, un racisme qui traverse tous les milieux sociaux et les familles politiques, qui « zigzague » entre la gauche et la droite. Ainsi nous décrit-il ce cacique du PS local qui affirmait qu’il n’avait plus qu’à « dégommer le black » pour être le chef de la section… alors que son vieil ennemi politique, Jean-Yves Cozan, l’a toujours affronté avec respect et seulement sur le terrain des idées.

Le grand mal colonial

Kofi remonte aux racines du mal : la colonisation, » façon jugée plus humaine de poursuivre en quelque sorte l’esclavage mais sur place ; les indépendances accordées du bout des lèvres et la poursuite d’une impitoyable exploitation ». Un colonialisme qui a marqué le passé français et dont les séquelles encore aujourd’hui se manifestent dans « l’esprit colonial » et la condescendance – parfois inconsciente – envers les personnes originaires des ex-colonies. Sur ce sujet, il invoque aussi bien son histoire personnelle – ses deux grands-pères fort malmenés par les colonisateurs – que l’histoire de la République dont il dénonce la passivité « politiquement correcte » face au racisme. Une République qui préfère « la boucler » quand une ministre noire – Christiane Taubira – est insultée publiquement à Angers. Très en colère contre François Hollande (ce « démagogue froussard »), Kofi Yamgnane dénonce avec vigueur l’infantilisation et l’infériorisation des hommes et femmes venu(e)s des ex-colonies. À propos des cités ghettos dans lesquelles il a tenté de transmettre l’espoir quand il était au gouvernement, il dénonce un « apartheid soft ».

Bien sûr, il est beaucoup question de politique dans ce livre qui s’adresse aussi aux décideurs, les exhortant à la sincérité : « les élus comme les entrepreneurs (… ) doivent impérativement dire ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire (…) afin que les Français comprennent une bonne fois pour toutes ce que peut ou ne peut pas leur bulletin de vote ».

Il est aussi question de pédagogie, pour expliquer que les migrations sont l’inévitable conséquence de la colonisation et du maintien des pratiques « coloniales » (exploitation des populations et des ressources des anciennes colonies, soutien aux despotes et ventes d’armes qui entretiennent les conflits locaux). Quant aux migrants, ce sont les meilleurs qui arrivent jusqu’à la France, qui oublie ce qu’elle doit à tous ces arrivants jeunes, dégourdis, souvent très qualifiés et pourtant dévolus aux tâches dont les « natifs » ne veulent pas (« de la confiture pour les cochons »). La migration est aussi une perte de force pour les pays de départ qui auraient pourtant bien besoin de bras et de cerveaux pour se construire un avenir. On peut d’ailleurs lire dans les Mémoires d’outre-haine d’autres plumes, en particulier un très beau texte écrit par de jeunes Africains dont on espère qu’ils prendront le destin du continent noir en main.

À défaut d’avoir trouvé la « clé de la plénitude », Kofi Yamgnane garde espoir. Parce qu’il croit en « la force de la rencontre, du dialogue, de l’ouverture à l’autre, de la philanthropie et peut-être du charisme » et « parce qu’un humain ça réfléchit ». Avis à celles et ceux qui ont écrit tous ces courriers anonymes.