La Fédération des harkis, rapatriés et combattants d’Afrique du Nord de Bretagne compte une trentaine d’anciens combattants mais aussi des proches ou des personnes qui n’ont pas connu directement les conflits de la décolonisation liés à l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc. L’idée de l’association est bien de transmettre une mémoire, apaisée. Retour sur la guerre d’Algérie avec l’ancien et le nouveau délégués du Finistère : Christian Durieu, lui-même ancien combattant d’Algérie et Karim Ataguema, dont les parents vivaient déjà en France lors du conflit, mais avec la présence forte du FLN.
Réécoutez l'émission
Ce n’est pas en cachant la poussière sous les tapis qu’on rend sa maison plus saine. C’est un peu la philosophie de la Fédération des harkis, rapatriés et combattants d’Afrique du Nord de Bretagne: il faut parler de ce qui s’est passé, pour espérer un recul et une réconciliation. L’association entretient donc la mémoire en participant à des commémorations de tous les combattants d’Afrique du Nord. Cela inclut la Tunisie, le Maroc dont les habitants ont servi avec l’armée française avant la décolonisation et bien sûr l’Algérie marquée par cette guerre d’indépendance (1954-1962) qu’on aborde encore si peu en France.
Dans le Finistère, le passage d’un délégué à l’autre en juin 2022 est symbolique : l’ancien délégué, Christian Durieu, a combattu en Algérie comme sous-lieutenant, et l’actuel délégué, Karim Ataguema est fils d’Algériens kabyles qui étaient installés en France pendant la guerre.
De jeunes français naïfs envoyés dans une véritable guerre
La Bretagne est certes loin de la Méditerranée mais la région a accueilli des harkis, à Saint-Avé près de Vannes : ces combattants algériens du côté français opéraient dans des unités en mouvement, les harkas, constituées d’anciens militaires autochtones que l’État français a encouragés à défendre les villages d’Algérie, les douar, contre les indépendantistes. Ces derniers (le FLN essentiellement) étaient à l’époque qualifiés autrement. Quand Christian Durieu a été appelé en Algérie, il avait 20 ans, avait terminé ses études d’art appliqué, et était marié. On lui a juste expliqué qu’il s’agissait d’assurer le « maintien de l’ordre » dans un département français en proie aux attaques des « communistes ». Il s’est rendu compte sur le terrain (en Kabylie) qu’il s’agissait de bien autre chose. Déjà il a constaté la pauvreté dont souffrait la grande majorité de la population musulmane, en grand décalage avec la France métropolitaine. Ensuite, il s’est rendu compte que l’adversaire était de mieux en mieux armé et organisé et que l’armée française y menait une véritable guerre. Outre les missions de surveillance, il s’agissait de mener des combats très importants, à l’artillerie en particulier.
La population civile algérienne prise entre deux feux
En métropole, les Algériens de France comme les parents de Karim Ataguema, étaient déjà très contrôlés par le FLN qui prélevait 15 % de leurs revenus et leur préconisait des directives de vie : pas de consommation d’alcool, être vêtu de costumes (pour les hommes) pour montrer une image « digne » à l’ensemble du monde et démontrer que l’Algérie pouvait faire partie des grandes nations.
Sur place, les populations civiles subissaient les combats. Dans le village de la famille Ataguema, les populations de trois autres villages étaient confinées sous surveillance de l’armée française avec interdiction de quitter la zone. Mais le FLN pouvait intervenir de nuit et exercer d’autres pressions en réquisitionnant de la nourriture ou en incitant à la désobéissance civile.
Un exemple de ce déchirement interne à la population algérienne c’est celui des forces supplétives, autrement dit des personnes civiles qui ont continué à travailler pour la France pendant le conflit, notamment dans l’administration. Considérées après le conflit comme collaboratrices de l’ennemi, elles ont dû fuir l’Algérie pour la France. Ainsi, ces femmes que l’État français envoyait dans les foyers algériens pour assurer des soins de base comme la fourniture de nourriture ou produits d’hygiène, la puériculture, quelques actes médicaux… les EMSI (Équipes médico-sociales itinérantes); ce millier de femmes étaient métropolitaines mais aussi algériennes, de toutes confessions. Elles ont assuré leur mission dans des conditions parfois dangereuses. Et celles qui ont fait le choix de rester en Algérie après les accords d’Évian ont tout simplement été tuées.