Fontaine de la chapelle Sainte-Marie-du-Menez-Hom
Autrefois, quand on construisait une fontaine, c’était bien l’eau qui était l’objet de toutes les attentions. Si aujourd’hui le petit patrimoine fontainier intéresse encore quelques amoureux des vieilles pierres, on semble avoir complètement oublié l’importance de ce patrimoine naturel commun qu’est l’eau, mais aussi sa dimension symbolique et culturelle.
Conversation croisée entre Bernard Rio, journaliste et co-auteur du livre Fontaines de Bretagne et Arnaud Clugery, directeur d’Eau et rivières de Bretagne.
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Pour toucher davantage de public, l’association Eau & Rivières de Bretagne approfondit le lien culturel qui unit les Bretons à l’eau. D’où cette rencontre avec Bernard Rio, journaliste et co-auteur avec Albert Poulain de Fontaines de Bretagne, éditions Yoran Embanner et toujours distribué par Coop Breizh.
Le patrimoine fontainier breton, exception mondiale
Il n’existe pas de recensement exhaustif des fontaines bretonnes, tant elles sont nombreuses ! Sachant que la Bretagne compte six mille églises et chapelles, et que la quasi totalité de ces sanctuaires sont associés à une fontaine… Si on tient compte aussi du fait que la Bretagne a conservé un tiers de ces sanctuaires, les deux autres tiers ayant disparu au 19e et au 20e siècles, ce serait donc 18000 lieux saints qui constituaient la trame religieuse de la Bretagne ! Et il existe des fontaines non associées à des édifices religieux.
La Bretagne est une région tempérée, qui reçoit essentiellement des pluies venant du sud-ouest (et du nord-ouest), qui alimentent les sources et les rivières, ce sont des eaux de ruissellement contrairement au bassin parisien où les ressources en eau proviennent des nappes phréatiques. Les fontaines, les puits, les lavoirs reflètent cette profusion d’eau mais aussi les usages qui y sont associés : consommation, ablution, dévotion.
Albert Poulain, conteur, architecte et ethnologue, décédé en 2015, avait entrepris son propre inventaire. Son ami le journaliste Bernard Rio s’est associé à lui pour la rédaction du livre qui privilégie trois axes : l’architecture, le légendaire, les croyances populaires (dévotions et rites).
Lors de son cinquantième anniversaire, l’association Eau et rivières de Bretagne s’est penchée sur le rapport que les Maoris entretiennent avec leurs rivières en Nouvelle-Zélande. A la lecture du livre de Bernard Rio et Albert Poulain, on se rend compte que les habitant(e)s d’Armorique eux aussi « vénéraient » leurs eaux. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Quand on construisait une fontaine, c’était bien l’élément eau qui était ainsi mis en valeur. Souvent on attribuait à celle-ci des vertus mais parfois il s’agissait d’usages plus prosaïques comme la conservation du beurre au frais.
La Bretagne est une région particulière, car elle se situe dans un continuum géographique, historique et religieux, depuis la préhistoire, en passant par la protohistoire, l’antiquité, le Moyen Age, La Renaissance… jusqu’à nos jours. Cette continuité cultuelle imprègne forcément les mentalités, même si les Bretons se déclarent de plus en plus laïcs et méconnaissent la réalité de leur culture pour privilégier un folklore superficiel et récent (émergeant à la fin du 19e siècle). Le maillage des sanctuaires et donc des fontaines de dévotion est le plus important de l’Europe continentale, les saints qui y sont vénérés sont à la fois des personnages historiques hérités du 4e au 10e siècle, mais également des avatars de divinités païennes, et des mystiques chrétiens du XVIIIe et XIXe siècles. Enfin, la Bretagne a conservé les rites (sous la forme christianisée des pardons) qui activent et pérennisent les lieux. Même l’Irlande n’a pas su conserver un tel patrimoine, et moins encore l’Ecosse, le pays de Galles et les Cornouailles britanniques.
Usages et personnages des eaux bretonnes à travers les âges
Il existait des usages individuels, communautaires, profanes et sacrés des fontaines et du petit patrimoine lié à l’eau en Bretagne. Le puits fut collectif avant d’être à usage individuel. Le lavoir était un bien commun et un lieu de rencontres, la fontaine était à la fois d’usage profane et sacré… avec des rites autorisés par l’église catholique et d’autres rites moins catholiques. C’est ainsi qu’il existait dans le légendaire chrétien, hérité de la mythologie celtique pré-chrétienne le rite lustral (en particulier dans la Vie de saint Maudez), littéralement « le feu dans l’eau » qui consistait à purifier, nettoyer, consacrer un lieu ou une personne. On peut aussi citer les rites oraculaires, les rites à la vie et à la mort, les rites de fécondité…
Le culte de l’eau en Bretagne est à l’image de la religion populaire (à distinguer de l’institution ecclésiastique) : un syncrétisme de croyances héritées d’une ancienne cosmogonie, par exemple les « dames à la fontaine » (saintes, sirènes et fées) mélangent les rites et les pratiques parano-chrétiennes (réécoutez aussi notre émission sur les druides et l’eau). Ces « bonnes dames » sont à la fois des représentantes de l’autre monde et se manifestent aux fontaines pour y rencontrer des mortels, car la fontaine symbolique la porte de l’autre monde, ou plutôt l’œil du monde… d’où l’importance des cultes liées à la vue, à la clairvoyance : Notre-Dame de la Clarté étant un avatar de Dea Suliae, une divinité celtique qui était notamment honorée à Bath et qui peut être identifiée en Bretagne à la Vénus de Quinipily à Baud.
Les fontaines, pièces d’un puzzle naturel, historique et architectural
Concernant l’aspect architectural, Albert Poulain avait développé une théorie originale et pertinente, à savoir : le petit patrimoine rural (fontaines, fours lavoirs, granges, etc.) est un marqueur d’identité. C’est ainsi qu’on peut déterminer avec précision les limites d’un territoire en identifiant des types architecturaux, notamment des fontaines, en fonction des matériaux utilisés, des dimensions et des proportions des bassins… Une fontaine à dôme et à balustre en granit du Vannetais ne sera pas la même qu’une fontaine en culot et à margelle en schiste du pays de Rennes. La fontaine n’est pas ailleurs qu’une pièce du puzzle paysager qui l’entoure et qui parfois date de plusieurs siècles, du chemin qui y mène à la chapelle qui l’accompagne, sans oublier le bocage alentours ou le village qui s’est agrégé autour de l’eau.
Eau et rivières de Bretagne a constaté par ailleurs qu’un nouvel « usage » des fontaines est apparu, du fait souvent de leur inutilisation par les humains : elles deviennent des refuges pour la biodiversité, les amphibiens en particulier.
Qu’elles soient perçues comme patrimoine immatériel (mémoire et histoire), architectural ou naturel, les fontaines doivent être considérées comme un bien commun à préserver sous tous leurs aspects.
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Lien vers l’inventaire des fontaines organisé par Eau et rivières de Bretagne
A lire aussi le chapitre « Les dames à la fontaine » dans Mystères de Bretagne, Balade au pays des légendes de Bernard Rio, chez Coop Breizh – mai 2018 Contes / Légendes (relié)