© Gillian Foulger / Durham University, Laurent Gernigon / NGU & Laurent Geoffroy / UBO La possible étendue (en rose) du nouveau continent

C’est encore théorique, mais les indices s’accumulent : un continent englouti se cache sous l’Islande et l’Atlantique Nord, en lieu et place de la croûte océanique. Il pourrait s’étendre du Groenland jusqu’à l’Europe et redéfinir les limites continentales.

Laurent Geoffroy est enseignant-chercheur géologue, spécialiste de tectonique, au Laboratoire Géosciences Océan – IUEM

Laurent Geoffroy fait partie de cette équipe internationale de géologues, animée par Gillian Foulger, professeur émérite de géophysique au département des Sciences de la Terre de l’Université de Durham (Royaume-Uni) qui “révolutionne” la tectonique des plaques en Atlantique Nord.

Une croûte trop épaisse sous l’Islande

L’Islande intéresse les chercheurs en tectonique depuis longtemps puisqu’elle est située sur une dorsale où se fabrique la nouvelle matière qui tapisse le fond des océans (lithosphère océanique). Sauf que la croûte y est 5 à 6 fois plus épaisse qu’ailleurs. Les scientifiques ont interprété ce phénomène comme une sur-fusion du manteau à hauteur d’un point chaud (une grande quantité de magma en basalte remonte et se solidifie en surface pour former la croûte). Certes, il existe un point chaud sous l’Islande mais cette anomalie thermique seule ne peut expliquer les 30 à 40 km d’épaisseur de la croûte à cet endroit (au lieu des 6 km d’épaisseur d’une croûte océanique classique).

D’autres indices intriguent les chercheurs comme ces zones anciennes de laves inclinées vers l’axe central de l’Islande, en éventail, morphologie qu’on ne trouve que dans les transitions continents-océans. Il ne devrait pas y en avoir en plein milieu de l’Atlantique (donc d’une plaque océanique)… sauf si l’Islande ne se situe pas sur une plaque océanique mais bien continentale.

Une Pangée étirée mais pas disparue

Les chercheurs ont aussi détecté des indices de contamination des basaltes islandais par du matériel continental. 

Les continents ne sont jamais stables : les “plaques” se déplacent, les masses continentales s’étirent et se fragmentent et de nouveaux océans s’ouvrent.  Puis ces océans disparaissent, les continents se “rassemblent” en supercontinents comme le dernier en date, la Pangée, constitué il y a plus de 200 millions d’années. La Pangée s’est ensuite lentement disloquée et, d’ici 200 à 250 millions d’années, un nouveau supercontinent se sera formé peu à peu par disparition des océans Atlantique et Indien. Il y a 60 millions d’années, l’Europe et le Groenland étaient liés ; il y a 90 millions d’années, l’Amérique était aussi associée à cet ensemble. 
Dans certaines circonstances thermiques, quand le manteau est en phase de fusion, il arrive qu’en se séparant, les plaques continentales s’étirent sur de longues distances avant de de se rompre. Ce qui se serait produit dans le cas de la formation de l’Islande et de la grande ride bathymétrique qui traverse l’Atlantique entre le Groenland et l’Europe.
En s’abaissant cependant, la plaque étirée a néanmoins pu être recouverte par l’océan. Il existe d’ailleurs d’autres plateaux continentaux sous la mer, comme au nord de l’Islande, en Nouvelle-Zélande, à l’ouest de l’Inde, aux Seychelles…

Si cette théorie est confirmée, elle remettra donc en question des idées scientifiques de longue date concernant l’étendue de la croûte océanique et continentale dans la région de l’Atlantique Nord, et la façon dont l’Islande s’est formée.

Quant à la surface présumée de ce continent englouti baptisé «Icelandia», elle est potentiellement immense : 600 000 km2, et même un million de km2 si l’on inclut les zones adjacentes à l’ouest de la Grande-Bretagne…

Pour en savoir plus et confirmer la théorie, il va falloir forer très profondément, ce qui nécessitera de gros moyens financiers.

La présence d’une croûte continentale, plutôt qu’océanique, pourrait également remettre en cause la définition des limites des continents et donc des territoires maritimes des pays riverains de l’Atlantique Nord ; à la clé, des enjeux d’exploitation des ressources minérales ou d’hydrocarbures.