La guerre entre la Russie et l’Ukraine l’impose, Breizh Europe Finistère fait le point sur l’Europe de la défense. On avait le sentiment qu’elle ne verrait jamais le jour mais les circonstances semblent enfin l’enclencher.
Le site internet de Breizh Europe Finistère
La page Facebook de Breizh Europe Finistère
Réécoutez la chronique
Par Josselin Chesnel
On a longtemps pensé que l’Europe de la défense était une chimère ! D’ailleurs, c’est la France, qui plaide sans cesse pour cette Europe de la défense, qui l’appelle même de ses voeux depuis les débuts de notre Union, dès même l’époque de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, dès les années 1950, donc. Même si c’est un sujet tout à fait passionnant, on ne va pas revenir sur les nombreuses raisons de l’échec initial de mise en oeuvre de cette Europe de la défense…
Mais en octobre dernier, le président de la République française tâchait (une énième fois !) de convaincre de l’utilité de la naissance d’une véritable stratégie européenne de défense, au-delà des stratégies qui existent pourtant bel et bien mais semblent manquer d’efficacité face à des situations comme celle qu’on connaît actuellement, à l’instar de la PESC, Politique étrangère et de sécurité commune.
On ne reviendra pas non plus sur cette politique. Même sentiment vis-à-vis des – pourtant essentielles ! – missions d’opérations européennes sur les théâtres extérieurs, à l’instar de Takuba au Sahel, composée de soldats de diverses nationalités européennes, ou Althea en Bosnie-Herzégovine, parmi d’autres (cette dernière ayant par ailleurs été renforcée après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, vraisemblablement par crainte de déstabilisations pro-russes dans ce pays vulnérable et instable enclavé dans notre UE).
Mais il est important qu’on évoque des réalités qui existaient, n’existent parfois plus, mais aussi parfois demeurent, voire s’amplifient, comme c’est effectivement le cas depuis l’invasion meurtrière de l’Ukraine par la Fédération de Russie. Précisons d’abord, alors qu’on nous le répète à l’envi, ici et là : « la guerre est aux portes de l’Europe », Non. La guerre est en Europe. Cela dit, elle est aux portes de l’Union européenne. Des bombes tombent à une trentaine de kilomètres de la Pologne.
Ceci posé, il est nécessaire d’évoquer rapidement l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), créée en 1949 par souci sécuritaire de la part d’un bloc de l’Ouest qui devait se reconstruire et cherchait paix et prospérité, soit dans les premières années de la Guerre froide, et aujourd’hui l’imbrication entre la logique otanienne et la logique
européenne, et même qu’on évoque le concept d’autonomie stratégique, entre autres aspects.
Une défense européenne avec ou contre l’OTAN ?
Il n’y a pas de bonne réponse. Je peux néanmoins tenter de vous dire ce qu’il en est aujourd’hui, ce qu’il en est en matière de coopération militaire armée depuis plusieurs années maintenant au sein de l’UE, de ce qui est acté depuis un moment, de nos interventions passées, et surtout et bien sûr, considérant l’actualité brutale du front ukrainien, de ce qui a été consacré tout récemment et est donc à venir. Car c’est en effet Jean Monnet, père fondateur de l’Union européenne, qui avait ces mots : “Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité, et ils ne voient la nécessité que dans la crise.”
C’est exactement ce qu’on vit : peu à peu, au-delà des divergences habituelles au sein des Vingt-Sept, il se trouve qu’une forme de convergence paraît voir le jour. Sans pour autant parler de suite d’armée commune aux Vingt-Sept, ce qui paraît à première vue extrêmement ambitieux (quoiqu’on pourrait poser la question, vu la soudaineté des changements de paradigmes récents), déjà, nous livrons aux résistants ukrainiens des armes défensives puissantes et efficaces, pour qu’ils puissent se défendre face à l’envahisseur russe. Mais ce sont des logiques étatiques. Toutefois, une stratégie commune d’achat et de livraison s’est effectivement peu à peu décidée : c’est donc tout de même une initiative européenne, qui a pour l’instant consacré l’achat commun d’armes létales défensives à hauteur d’environ 500 M d’euros, et à laquelle participent les Etats volontaires.
Et puis des Etats historiquement pacifiques, comme l’Allemagne, pour des raisons historiques évidentes, prennent tant conscience du danger actuel que leurs généraux vont jusqu’à assumer la très vive vulnérabilité de leur matériel, de leur armée, et que leurs Parlements adoptent, un peu au pas de course, des budgets militaires jamais vus dans ces contrées. Des Etats comme la Finlande, neutres depuis des décennies et des décennies, sous-entendent vouloir intégrer l’OTAN, et livrent à profusion des armes à la résistance ukrainienne. S’il y a par ailleurs un Etat membre de l’UE qui a toujours refusé toute participation à une quelconque stratégie militaire stratégique commune, c’est le royaume du Danemark. Et bien, la donne est si largement changée que le gouvernement du pays a décidé de soumettre cette participation à référendum. Il aura lieu le 1er juin qui arrive, et je veux faire le pari que, vu l’ampleur prise par la menace russe, les Danois choisiront l’action commune en la matière (même s’il est à savoir qu’au Danemark, la subtilité est qu’a contrario de la France et d’autres pays, notamment latins, l’extrême droite défend coûte que coûte l’appartenance otanienne, et exècre celle à l’Union européenne —— en France, fréquemment, les 2 appartenances sont aussi exécrées l’une que l’autre par cette part de l’échiquier politique). En plus, le petit pays a fait connaître son envie d’accueillir des troupes américaines de façon permanente sur son sol, ce qui est certes assez dingue, mais n’est pas sans poser question à la fameuse volonté partagée par d’autres Européens d’autonomie stratégique. Je vais y venir…
Sur l’OTAN, au coeur de cette guerre un peu malgré elle – il faut le dire – , et bien dans ce cadre très mouvant et évolutif, deux grands camps européens s’affrontent encore et toujours : celui du statu quo, qui se contente bien de la défense exclusive normalement consacrée par l’appartenance à l’OTAN, et celui de la défense européenne, qui veut voir émerger et perdurer une stratégie autonome propre européenne – et non plus atlantiste seulement, tout en tâchant tout de même de permettre la conciliation des deux dynamiques. C’est un peu la problématique de la guerre en cours en Ukraine, si on me permet le terme : pour les Européens, le choix en faveur duquel opérer est assez cornélien !
Dans le second camp, celui de la fameuse autonomie stratégique, la France paraît souvent bien seule. En même temps, il faut bien comprendre ô combien il est compliqué d’aller expliquer à d’anciennes républiques soviétiques, ou à d’autres anciens États satellites de l’époque, parfois considérablement traumatisés par de diverses exactions, à l’instar des pays baltes, de la Pologne, de la Slovénie, de la Roumanie, de la Bulgarie, ou encore de la Slovaquie et de la Tchéquie, qu’on s’en sortira sans les Américains, avec pour seule puissance nucléaire la France, pour ne pas dire avec la France pour seule puissance militaire tout court (la France qui, en outre, est le seul Etat membre de l’UE membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies). Pour certains en Europe centrale et orientale, il faut entendre qu’il y a, de temps à autres, comme un goût de déjà-vu, avec cette idée de puissance européenne protectrice, qui en sus paraît souvent refuser toute idée de commandement et d’exercice partagés de son armement.
Enfin une stratégie commune et autonome de l’Union européenne
Des événements assez saillants ont paru donner raison aux tenants de cette dynamique de l’autonomie stratégique, les Français les premiers. Sans les énumérer, 2 au moins sont singulièrement marquants : d’abord le retrait assez brutal et chaotique des Américains d’Afghanistan, en août dernier, faisant ainsi montre du désengagement de ceux-ci dans les questions de sécurité communes aux Occidentaux globalement, qui ont poussé les Européens à se débrouiller seuls, et avec difficulté, pour rapatrier leurs ressortissants ainsi que les Afghans qui avaient appuyé les forces européennes depuis plus de 20 ans que les talibans n’étaient plus au pouvoir… ; mais en sus l’épisode de la fin de l’année 2021, de l’annulation unilatérale par l’Australie du contrat dit du siècle, entre la France et l’Australie, quant à la vente de sous-marins de technologie française.
C’est d’ailleurs sans dire combien l’OTAN, pour le moment, paraît bien peu désirer s’engager dans une quelconque défense de l’Ukraine (ce qui est sans doute audible, au-delà de l’horreur, puisqu’elle n’en est pas membre), par peur de voir le conflit dégénérer. Et c’est sans même vous parler de ce qui est peut-être le plus important dans ce vaste cadre, mais que peu de spécialistes ont eu le temps eux-mêmes de regarder à mon sens tant c’est contemporain, à savoir ce qu’on appelle la Boussole stratégique.
Elle a été adoptée le 24 mars 2022 au soir par le Conseil européen (qui, pour rappel, réunit les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept), donc jeudi dernier. Elle est une stratégie prévue pour durer jusqu’à l’horizon 2030 au moins. En gros, c’est le premier des Livres blancs de la défense.
On peut vraiment parler d’étape historique ! L’UE aime bien concocter des Livres blancs de prospective à horizons plus ou moins lointains, à comprendre comme des boussoles de l’action qu’elle mène, sur l’avenir de l’Europe, sur des sujets aussi diversifiés que l’intelligence artificielle et les retraites, etc. Mais sur la défense, ça a longtemps été impensable ! Travail engagé à partir de 2020, la pandémie de Covid-19 l’avait mis en veille avant que la guerre menée par les Russes depuis le 24 février en Ukraine ne vienne rappeler son utilité, pour ne pas dire son urgence. C’est d’autant plus impressionnant qu’on adore dire l’UE divisée, sur tout et sur rien – ce qui
est normal, quelque part, quand sont représentés 27 intérêts nationaux qui, pour autant, se sont réunis au nom de démocraties qui souhaitaient converger un maximum pour
éviter les conflits qui les avait laissées agonisantes, pour rappel – …qu’on adore donc dire l’UE divisée, et qu’elle a pourtant, donc, réussi à produire ce document commun aux Vingt-Sept quant aux menaces auxquelles elle est confrontée. En gros, cette Boussole est une première pierre à une culture commune en matière de défense qui reste à construire.
Concrètement, cette boussole stratégique a déjà débouché sur la constitution d’une force militaire armée opérationnelle composée de 5 000 combattants européens ; ensuite sur l’augmentation substantielle de nos dépenses militaires (aujourd’hui, à Vingt-Sept, notre budget militaire est d’environ 200 milliards par an, c’est-à-dire, s’il s’agissait de se consoler en se comparant, environ autant que les Chinois, et surtout quasiment quatre fois plus que les Russes. Mais toujours quasiment quatre fois moins que les Américains.)
De naine militaire, l’Europe comprise par le prisme de l’Union européenne peut se faire géante.
Tout ce que le dictateur russe voulait éviter, il l’a obtenu : renforcement de l’OTAN, nouveaux processus d’adhésion à l’UE (Géorgie, Moldavie, et bien entendu Ukraine), et bien sûr, et même surtout, cohésion européenne.
Pour protéger nos démocraties libérales, il est évident qu’il faut travailler ensemble, vouloir et défendre la démocratie comme un bien commun précieux à porter, et affirmer combien la défense n’est plus un tabou, ne doit plus en être un, doit nous réunir à terme comme elle paraît nous réunir depuis le 24 février 2022, c’est-à-dire depuis le début de la guerre que les Russes mènent seuls contre un fantôme, au détriment de milliers et de milliers de vies. C’est l’Europe post-24 février 2022 qui est née, et on l’aura attendue longtemps.