Illustration : facilitation graphique réalisée par Agnès Payraudeau à l’occasion des 20 ans du Civam du Finistère
Reprendre la terre aux machines est le titre d’un ouvrage collectif de l’Atelier paysan, une coopérative de fabrication en licence libre de machines agricoles vraiment adaptées aux besoins de celles et ceux qui produisent. Le Civam, réseau de la paysannerie, et d’autres organisations agricoles organisent des journées de réflexion autour de la thématique du livre : « Ensemble paysans, mangeurs, reprenons la main sur la terre et ses fruits ».
Emission mensuelle réalisée en partenariat avec le Civam Finistère
Réécoutez l'interview de Jean-Claude Balbot de l'Atelier paysan
L’Atelier paysan est une Société coopérative d’intérêt collectif qui compte 150 membres, productrices et producteurs de toute la France qui auto-construisent des machines agricoles adaptées à des petites productions, surtout en agriculture biologique. Les machines inventées sont créées en licence commune et tout un chacun peut en utiliser les plans. C’est tout à fait le type d’aventure agricole qui répond à un autre système qui lui a totalement échappé aux producteurs : les grandes coopératives agricoles devenues des multinationales dotées de filiales, le tout entouré d’opacité et dont la gouvernance finit par échapper aux premiers intéressés, les productrices et producteurs.
Des agriculteurs désespérés, des mangeurs privés de choix
L’état de santé psychique du monde agricole, les dépressions et les suicides qui marquent ce milieu professionnel depuis plusieurs années sont par ailleurs révélateurs d’un malaise profond, d’une perte de sens certaine. Nourrir le monde ne semble plus apporter de satisfaction…
Quant aux mangeuses et mangeurs, un grand nombre est tout simplement privé d’accès à une alimentation choisie. Le Secours populaire a ainsi évalué à 26 millions le nombre de personnes insatisfaites de leur nourriture en France, qu’il s’agisse d’un accès trop difficile (en temps ou en disponibilité) ou de trop grande précarité économique.
Face à ces constats, l’Atelier paysan a publié un ouvrage collectif Reprendre la terre aux machines qui nourrit une réflexion profonde sur les transformations du monde agricole depuis une cinquantaine d’années, marquées par l’irruption de la mondialisation et de la logique financière dans les modes de production alimentaires.
Des machines qui ont changé l’agriculture et notre nourriture, sans nous
Les machines symbolisent alors la perte d’autonomie, la délocalisation, l’inflation des dépenses d’énergie. Un exemple : le gigantisme des tracteurs a conduit à la disparition de talus, d’arbres et autres éléments qui favorisaient la présence d’un écosystème équilibré ; l’usage de pesticides est alors apparu comme nécessaire pour compenser la disparition de prédateurs naturel des parasites ; il a donc fallu se doter d’épandeurs à pesticides, puis à engrais… et ainsi de suite. L’enchaînement des besoins s’est alors enclenché, conduisant aussi au surendettement des paysans, les éloignant aussi physiquement du sol et de la terre (les cabines des tracteurs sont aussi de plus en plus hautes, les robots de traite éloignent aussi les éleveurs des animaux). C’est un nouveau rapport au vivant qui s’est ainsi façonné mais aussi un autre rapport à notre alimentation.
La modernisation agricole a-t-elle été un réel progrès ? Quand on sait qu’on est passé d’1,6 million de paysans en 1982 en France à moins de 400 000 aujourd’hui, on peut déjà s’interroger sur ce « choix du chômage ».
Et quand bien même on considère que les innovations ne sont pas un problème, c’est la question du choix qui se pose : qui en a décidé ? Les choix alimentaires sont-ils réellement assumés par celles et ceux qui produisent ? Et quelle est la part des mangeuses et mangeurs dans ces choix ? La démocratie alimentaire semble avoir disparu.
Pour se réapproprier vraiment notre alimentation il faudrait en fait « retourner à la terre », assez massivement. On peut pour y réfléchir regarder du côté de l’Inde dont les 36 millions de paysans se sont mis en grève contre leur disparition programmée par la volonté d’industrialisation du gouvernement Modi qui a dû faire machine arrière. L’état de l’Andhra Pradesh (55 millions d’habitants) dont la politique publique est de produire sans engrais et avec un minimum de moteurs nous le démontre : il faut du monde pour produire !