Éleveur laitier retraité, pionnier de la transformation bio et de la conservation des races de vaches du Finistère, Michel Kerangueven s’inquiète du devenir des vaches laitières. Comme le réseau Civam, dont il est adhérent, il espère que le rapport humains-animaux sera préservé et que l’élevage intensif ne va pas tout emporter.
Émission mensuelle réalisée en partenariat avec le Civam Finistère
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Michel Kerangueven est aujourd’hui à la retraite ; il aide un peu ses deux fils qui élèvent des vaches armoricaines pour leur viande, ainsi que des cochons, et qui transforment. A Quimerc’h, l’élevage est toujours en agriculture biologique et Michel reste adhérent du Civam du Finistère dont il partage la philosophie.
La « holsteinisation » des troupeaux de vaches laitières
S’il a commencé comme éleveur laitier conventionnel pour la laiterie Gilap dans les années 1960, Michel a parcouru un long chemin depuis. Au départ, il élevait des Prim’Holstein comme tant d’autres de ses collègues. Cette race américaine a en effet été sélectionnée pour sa capacité à produire beaucoup de lait (40 litres par jour au moins). Mais c’est un lait destiné à être bu et qui est pauvre en acides gras et protéines. Il est donc peu adapté à la fabrication de beurres et fromages. Très délicates, les Holstein nécessitent une alimentation particulièrement riche, de céréales et de soja, souvent d’importation et donc coûteuse. Par ailleurs, au fil des sélections, la diversité génétique des Holstein s’est restreinte. Si une maladie ou un problème de santé survient, l’impact risque d’être majeur. Pour Michel, cette standardisation, cette « holsteinisation » des troupeaux laitiers est le résultat de l’industrialisation, d’une quête de volumes de lait au détriment de la qualité. Pourtant, les prix bas du lait rendent difficile de vivre de cet élevage, alors même qu’il est très contraignant.
C’est d’ailleurs pour des raisons économiques que Michel Kerangueven s’est tourné vers l’agriculture biologique, assez tôt, et vers la transformation. Il a donc cherché quelles races de vaches locales pourraient fournir un lait de qualité, apte à donner un beurre délicieux, fabriqué par sa femme. C’est la Froment du Léon qui a retenu son attention : une petite vache au pelage bai et au lait particulièrement riche en acides gras, idéal pour le beurre, devenu très réputé ! Michel a aussi « converti » peu à peu ses Armoricaines, race mixte qu’on avait destinées à la viande, à la production laitière. Petit à petit, au fil des générations, leur morphologie a changé. Ses Armoricaines sont devenues plus élancées, moins trapues. Leur production quotidienne de lait était donc de 10 litres environ mais avec qualité et vente du beurre, Michel et sa femme pouvait s’en sortir à peu près.
D’autres éleveurs laitiers tentent aujourd’hui de mixer leurs Prim’Holstein avec d’autres races pour obtenir des vaches plus rustiques qui peuvent être alimentées au pré. Le coût de la nourriture pour le bétail est tel que l’économie des fermes laitières est menacée et que la recherche d’autonomie alimentaire s’est accélérée, même en élevage conventionnel.
On peut aussi pousser plus loin cette logique, en agroécologie et apprendre à nourrir ses vaches avec des haies fourragères (frênes, hêtres…) ; le Civam propose d’ailleurs des formations sur ce sujet, ainsi que des échanges d’expériences entre éleveuses, éleveurs.
Le machinisme a distendu la relation avec l’animal
Michel a aussi beaucoup milité pour le maintien de la traite, un moment de vrai rapport entre humain et animaux. En 1979, sa voisine trayait encore ses 10 vaches à la main (et s’endormait sur elles parfois). Ensuite, Michel a connu la traite au pot, avec un trayeuse mais il fallait encore porter les seaux de lait jusqu’au tank à lait, ce qui était encore faisable pour un cheptel de 30 vaches. Ensuite, est apparu le transfert à lait – une tuyauterie qui envoie directement le lait trait au tank – qui a permis d’augmenter encore la taille du troupeau. C’est quand sont apparues les « salles de traite » qu’ est apparue une coupure dans la relation avec l’animal, traduite dans le langage : on ne disait plus « je vais traire les vaches » mais « les vaches vont passer à la traite ». Aujourd’hui, dans les très grands élevages, les vaches passent seules dans les robots. L’humain est certes moins contraint par l’animal, mais par sa nouvelle astreinte : la notification pour panne de robot…