Giovanni Palama est suisse. Né sourd profond, il a été formateur – enseignant en langue des signes pour des adultes et des enfants, pendant 41 ans.
Sous la vidéo, retrouvez la transcription intégrale de l’interview.
Une émission télé en langue des signes lancée dans les années 1980
Quand l’Onu a lancé en 1982 l’année du handicap et la télé suisse a créé une émission destinée aux personnes sourdes. Le réalisateur lui a demandé de participé à cette émission Signe, il a donc été présentateur de 1988 à 2005, en langue des signes. Son travail d’enseignant l’a bien aidé.
L’émission était destinée à un public large, y compris entendant, pour faire découvrir l’univers de la langue des signes et la culture sourde.
On y comprenait notamment à quel point signer élargit le champ d’expression ; un signe peut prendre différentes significations en fonction de l’expression du visage, de l’ampleur du geste ; on peut faire de l’humour en langue des signes et on résume bien plus efficacement !
La langue des signes compréhensible d’un pays à l’autre
La moitié des sourds utilisent cette langue des signes en Suisse alors qu’avant on privilégiait l’oralisme pour intégrer les personnes sourdes dans le monde entendant puisque peu de gens comprenaient les signes, ils étaient associés à un manque d’autonomie. Ce n’est plus le cas actuellement car la LF est valorisée, la communauté sourde en est fière et elle se répand.
Selon les différentes régions linguistiques de Suisse, il y a des variantes mais on peut se comprendre. Les Suisses alémaniques sont un peu à part car ils sont restés davantage dans l’oralisme.
En revanche, un Suisse francophone peut tout à fait comprendre la langue des signes française, tout en percevant de légères différences, et même des « accents » d’une région à l’autre. La grammaire et la syntaxe restent les mêmes.
Un extrait de l’interview filmé par Laëtitia Morvan
On va rester en Suisse avec le Festival de cinéma de Douarnenez, qui est un festival tourné vers les minorités, et parmi les langues minoritaires il y a la Langue des signes. Elle était représentée cette été par un animateur de télévision en Langue des signes. Il est sourd et m’a donc parlé en Langue des signes. Mais comme on est en radio, il a demandé à Anaïs Gabu, interprète en Langue des signes du Festival de lui prêter sa voix…
Giovanni Palama : Bonjour, Je m’appelle Giovanni Palama, j’ai grandi et travaillé en Suisse et je suis né sourd.
Véronique Muzeau : Quel était votre métier ?
Giovanni Palama : Au départ, j’étais technicien dans le bâtiment, ensuite j’ai travaillé en école bilingue pour des adultes sourds et j’ai travaillé comme enseignant pendant 41 ans. J’avais deux casquettes dans ce centre : éducateur et enseignant pour enfants sourds.
Véronique Muzeau : Vous avez présenté une émission, c’est vous qui l’avez suscité, ou est-ce qu’on est venu vous chercher pour la présenter ?
Giovanni Palama : Effectivement, à partir de 1982, l’ONU a instauré l’année internationale des personnes handicapées et à ce moment-là, ils se sont rendus compte qu’à la télévision, notamment en Suisse, il n’y avait pas de représentation des personnes sourdes, et ils ont eu l’idée de créer une émission et il y a eu une conférence sur les Sourds à cette occasion. Le réalisateur de cette émission a vu cette conférence et m’a demandé d’intégrer l’équipe de l’émission Signes en tant que présentateur. C’était en 1988, jusqu’en 2005.
Véronique Muzeau : Donc vous n’aviez jamais fait de télévision avant ?
Giovanni Palama : Jamais ! Mais j’avais enseigné la Langue des Signe et en Langue des signes et je connaissais très bien un journaliste suisse célèbre qui a été mon formateur sur le rôle et la place du présentateur. Il m’a appris les rudiments du métier, et ce travail de pédagogie que je faisais en tant qu’enseignant a été assez utile dans le métier de présentateur, c’était assez complémentaire.
Véronique Muzeau : Qu’est-ce qu’il y avait dans cette émission et quel était son objectif ?
Giovanni Palama : L’émission Signes était destiné à un public assez large, autant sourd qu’entendant qui découvrait la Langue des signes, qui était curieux, qui ne connaissait pas le monde des Sourds, le monde de la langue des signes… Mais l’objectif était aussi de montrer la langue des signes, de montrer de nouveaux signes, pour que le public sourd puisse en profiter pour s’en imprégner, pour reprendre des signes actuels, et pouvoir diffuser de nouveaux signes et une langue plus riche. C’était une équipe 100% Sourds, l’objectif était de montrer que l’on pourrait travailler en étant tous sourds.
Véronique Muzeau : En radio évidemment on ne voit pas, mais vous avez une interprète, pourquoi la Langue des signes est-elle beaucoup plus riche qu’une langue orale ?
Giovanni Palama : En Langue des signes, on peut vraiment aller dans la finesse : c’est-à-dire qu’on va passer par des expressions du visage… Par exemple si je vous fais le signe « travail », il suffit que je change mon expression de visage pour que changer toute l’intention qu’on y a derrière le mot / le signe. Et le signe reste le même ! Mais c’est la finesse de l’expression qui va changer toute l’intention. On peut aussi utiliser cela dans la poésie, dans l’humour, dans des domaines très larges… En plus c’est une langue qui est très visuelle, donc on peut rapidement deviner, notamment que les questions d’humour, il y a des choses que l’on ne peut pas traduire, parce que c’est essentiellement de l’image, c’est une image qui va vous sauter aux yeux.
Véronique Muzeau : Est-ce qu’il y a de l’argot, des gros mots en Langue des signes ?
Giovanni Palama : Oui, bien sûr, il y en a plusieurs. Notamment des groupes de jeunes utilisent des mots qu’actuellement je ne connais pas, je me demande de quoi ils parlent ! Ça va être de petites choses, où il faut un peu deviner ! Et c’est aussi beaucoup dans le résumé : un signe ou une phrase un peu longs, on peut avoir de l’argot, du verlan : juste avec le signe, en signant à un autre endroit, ou plus petit, on va pouvoir changer l’intention qu’il y a derrière le mot. Il peut y avoir des signes où l’on voit vraiment l’image qu’il y a derrière, et parfois cela peut être plus fin, plus dans la justesse.
Véronique Muzeau : Quelle est la proportion de personnes sourdes qui utilisent la Langue des signes au quotidien en Suisse ? Est-ce que c’es répandu, ou est-ce que cela reste une minorité ?
Giovanni Palama : Il y a beaucoup de Sourds oralistes. Il doit y avoir à peu près 50% des Sourds qui parlent en Langue des signes et qui sont moins dans l’oralisme. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’avant, les Sourds oralistes voyaient la Langue des signes comme un manque d’autonomie : il fallait appeler sa maman, sa soeur, pour pouvoir s’exprimer et faire des choses dans la vie. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a vraiment des possibilités, on peut évoluer en étant autonome tout en parlant essentiellement la Langue des signes dans le société. Il y a donc désormais une majorité de Sourds qui se met à la Langue des signes et l’oralisme se réduit. Avant il y avait une volonté d’intégration complète dans le monde des entendants, de presque se « faire voir » en étant oraliste, maintenant il y a une fierté de la Langue des signes et une possibilité d’autonomie pour les Sourds qui la pratiquent.
Véronique Muzeau : Il y plusieurs Suisse(s), vous vivez en Suisse francophone, entre Sourds de différentes Suisse(s), vous ne pouvez pas échanger en Langue des signes, apparemment ?
Giovanni Palama : La Langue des signes Suisse Allemande a une base très oraliste, mais on peut quand-même en deviner la base. Un Sourd de Suisse Allémanique et un Sourd de suisse Romande vont pouvoir à peu près se comprendre, mais la Langue des signes Italienne est beaucoup plus proche de la Langue des signes Française. C’est comme à l’oral : le français et l’italien sont des langues latines. En Langue des signes il y a aussi des similitudes, alors que la Langue des signes Allemande est vraiment très différente.
Véronique Muzeau : Quand vous venez en France, est-ce que vous constatez que les personnes qui signent ont un accent par rapport à votre Langue des signes ?
Giovanni Palama : Oui, il y a des signes vraiment très français, mais on voit aussi vraiment la différence entre les Sourds bretons, les Sourds parisiens, les Sourds marseillais : je peux très vite voir d’où vient une personne en fonction des signes qu’elle utilise. Par exemple, en France, on signe « semaine prochaine » sur le bras, nous on le fait sur la main, comme ça, on va juste bouger la main vers l’avant ou vers l’arrière. On va dire « semaine prochaine » de manière différente en Suisse et en France, mais la syntaxe et la grammaire restent les mêmes. Un Sourd suisse et un Sourd français vont pouvoir se comprendre de façon très simple car il y a la même construction, comme des Sourds qui viendrait de différentes régions de France. Un Suisse va avoir ses signes suisses, mais ils vont quand-même se comprendre.
Véronique Muzeau : Comment est-ce que vous reconnaissez les signants bretons ?
Giovanni Palama : Alors je débute à peine, je n’ai pas encore assimilé les signes bretons, je découvre la Bretagne en même temps que la Langue des signes bretonne, et je n’étais jamais venu en Bretagne, c’est la première fois. C’est très proche, mais il y a parfois de petites choses où l’on voit que c’est différent, mais je n’ai pas encore étudié en profondeur la Langue des signes Bretonne : il me faut encore un peu de temps ! Mais encore une fois, ce n’est pas une langue différente, ils ne signent pas comme des gens parleraient breton ! C’est juste qu’il y a des signes spécifiques à la Bretagne.
Véronique Muzeau : Giovanni Palama. Il est suisse, sourd profond de naissance et il nous parlait en Langue des signes, interprété par Anaïs Gabu. La Langue des signes en radio, on l’a fait !