7 ans après son dernier projet, Muyiwa Kunnuji revient avec un album qui critique la poursuite sans éthique du profit et du pouvoir à travers des genres musicaux comme le jazz, l’afrobeat et le blues. 

Un superbe album est sorti le 9 décembre intitulé A.P.P. (Accumulation of Profit & Power) du trompettiste Muyiwa Kunnuji avec son groupe Osemako.

Le Nigérian Muyiwa Kunnuji est l’ultime trompettiste du père de l’afrobeat Fela Kuti. Il grandit dans une ambiance religieuse baignée par la musique classique et gospel, jeune choriste dans l’église de son père qui était prêtre anglican. Au début des années 90, la richesse musicale de Lagos l’ouvre à d’autres influences et c’est de manière autodidacte, que Muyiwa apprend la trompette. Du coup, il forme avec d’autres musiciens des brass bands avec qui il se produit dans des lieux mythiques de Lagos. Sur son chemin, il rencontre de nombreux musiciens dont ceux issus d’Egypt 80 le groupe mythique de Fela Kuti et après la mort de Kuti en 1997, Muyiwa Kunnuji continue sa route avec le fils de Fela, Seun Kuti, pendant plus de 15 ans. 

En 2016 le trompettiste sort son premier album, et donc 7 ans plus tard il revient avec un autre. L’album de 6 morceaux est avant tout une critique bien sentie de la poursuite sans éthique du profit et du pouvoir, caractéristique du système capitaliste moderniste du 21e siècle. Et oui comme son mentor Fela, Muyiwa est aussi politiquement actif et veut utiliser sa musique pour porter un message. 

Dévoilant les facettes grotesque du comportement humain, de l’intérêt organisationnel et de la complicité gouvernementale, le trompettiste autodidacte fait une évaluation habile de ces sujets. Soulignant la pertinence continentale de son message, l’afrobeat de Kunnuji s’accompagne de détours par les régions d’Afrique, intégrant des éléments de jazz, de danse, de marabi, de soukouss et de highlife dans son paysage sonore.

L’artiste ne veut pas simplement répliquer l’Afrobeat de Fela Kuti mais il veut y contribuer à sa manière. Là où les tonalités d’Afrique du Sud, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest se rejoignent, Kunnuji imprègne les compositions traditionnelles de l’afrobeat d’une infusion habile de blues dans une délicate combinaison de contenu et de forme. L’accompagnement de la critique du capitalisme moderniste par des appels et des réponses, comme pour amener le public dans l’orbite de Kunnuji, renforce encore cette collection. Une fois cette invitation acceptée, un déploiement d’art technique s’ensuit avec des harmonies complexes, des polyrythmes incessants et des percussions. 

Entre les influences éclectiques de la chanson d’ouverture “Bro Hugh”, une référence au regretté jazzman sud-africain Hugh Masekela, et les gémissements acoustiques highlife de “Recipe of Death”, Kunnuji rend hommage à la musique africaine et déplore la recherche du profit au détriment du bien-être collectif. Alors que cette dernière chanson incarne les préoccupations centrales du projet, “Oshelu” fait preuve d’une ironie délectable, “Meeting Point” plaide pour la solidarité et “Sanitize Your Heart” réoriente le besoin de purification de nos valeurs les plus intimes.