En tant qu’association de « vulgarisation » de l’Union européenne, Breizh Europe Finistère a bien conscience que la tâche est ardue et que les mécanismes européens peuvent sembler complexe. Voici donc une chronique pour clarifier vos idées.

Réécoutez la chronique de Maël Cordeau et Josselin Chesnel

Par Josselin Chesnel et Maël Cordeau

Ce mois-ci, nous souhaitions revenir sur ce  qu’on pourrait appeler les faux-amis européens pour clôturer le mois de l’Europe en vous proposant un petit dialogue
qui revient sur l’essentiel des termes techniques européens et qui sont nécessaires à la bonne compréhension de l’actualité européenne.
 

Europe ou Union européenne ?

Commençons par l’écueil le plus simple et aussi celui qui hérisse le plus le poil ! En effet il arrive très souvent que l’on entende “c’est l’Europe qui finance”, “C’est l’Europe qui…” alors qu’en réalité c’est l’Union européenne qui agit. Il ne s’agit uniquement que de sémantique mais c’est important. L’Europe est un continent qui comprend une cinquantaine de nations tandis que l’Union européenne qui est une entité politique supranationale, qui n’en compte que 27. On pourrait faire la même remarque sur la zone euro qui est fondamentalement différente de l’Union européenne. Aujourd’hui la zone euro est composée de 20 pays, on est donc loin des 27 États membres. Il est possible de parler d’Europe pour donner une dimension universelle à un discours politique mais quand il s’agit de sujets techniques c’est autre chose.
 

Le traité de Lisbonne et le projet de Constitution de l’UE

Tout comme il n’est pas souhaitable, Maël, de désincarner l’Union européenne en la substituant par l’Europe, je crois qu’il est essentiel de revenir sur un faux ami non pas sémantique mais politique qui a en France la vie dure : le traité de Lisbonne, constamment ramené au projet de traité établissant une Constitution pour l’Union européenne de 2005 contre lequel les Français et les Néerlandais avaient par ailleurs voté.
D’abord il peut paraître utile de rappeler la Constitution (française) du 4 octobre 1958, qui énonce je cite : “La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.”
C’est le principe de subsidiarité après transfert volontaire des compétences des Etats membres vers l’Union européenne.
En effet, l’argument politique majeur responsable de cette mauvaise conception politique du traité de Lisbonne est instillé par l’idée largement partagée dans certains milieux politiques français selon laquelle le traité de Lisbonne (qui, pour rappel, régit nos règles européennes telles qu’on les connaît et pratique) aurait repris la totalité du projet de 2005 souhaitant une Constitution pour l’Union, niant ainsi l’aspect démocratique des référendum néerlandais et français. C’est en tout cas l’argutie politique.
C’est un mythe : non seulement tout n’a pas été repris (il n’y a pas de Constitution européenne), mais en plus le traité de Lisbonne est surtout poussé comme le meilleur moyen :
1) de faire respecter la promesse originelle faite au début du 21è siècle, en 2001 précisément, par l’ensemble des Etats membres de réformer les institutions pour rendre l’UE plus démocratique et efficace ;
2)c’est lié : de faire entrer en vigueur des éléments de droit permettant enfin de mettre un terme aux plus importantes formes de blocages institutionnels, qui jusqu’alors paralysaient l’action de l’Union (blocages qui, au passage, auraient littéralement tué cette Union qui est bel et bien présente maintenant, si Lisbonne n’était pas advenu).
C’est ainsi un discours qui peut désarçonner mais n’est pas factuel : non, Lisbonne et le projet de 2005 ne sont pas les mêmes : en droit de l’UE, si 1 seul des États membres (25 à l’époque) choisit de ne pas ratifier le traité (en France, choix pris par référendum comme ce fut le cas en 2005 pour le projet de Constitution pour l’UE ; ou par réunion du Parlement en Congrès comme ce fut le cas pour le traité de Lisbonne en 2007), celui-ci ne peut pas entrer en vigueur. Il y a difficilement plus démocratique, quand un seul pays peut bloquer la volonté de tous les autres. Pour 2 pays, le traité constitutionnel de 2005 n’est donc pas entré en vigueur. Dont acte.

Après ce blocage politique, les chefs des États et des gouvernements de l’UE avaient donc à choisir entre :
– ne rien faire ;
– négocier de nouveau un traité constitutionnel voué à l’échec…
…ou donc adopter à la stricte unanimité certains points du traité mort-né afin d’inspirer le nouveau (je répète : à l’unanimité des Vingt-Cinq). Difficilement plus démocratique qu’une règle pareille.

Les raccourcis ont donc ceci d’aisé qu’ils instillent le doute sur la qualité démocratique de ce qui a été entrepris entre 2005 et 2009, pour 2 processus qui in fine n’avaient pas tant en commun. Tout a été entrepris démocratiquement :  les Vingt-Cinq souhaitent tout de même une refonte des institutions, que les peuples eux-mêmes semblaient appeler de leurs voeux : la discussion autour d’un nouveau projet de traité s’engage, pour lequel tout est défini à l’unanimité des Vingt-Cinq (entre nous, si c’est le pays qui a dans sa Constitution les pleins pouvoirs, l’article 49-3 et les ordonnances qui prétend que l’UE est une forfaiture démocratique…. on a le droit de rigoler un coup).

Enfin ceci nous engage, mais si on avait expliqué aux peuples des Pays-Bas et de France qui se sont peut-être sentis floués en 2005 qu’avec une Constitution,
– l’Union eût adapté la règle de l’unanimité il y a plus de 15 ans,
– qu’elle eût eu une présidence élue au suffrage universel des Européens,
– qu’elle eût donné au Parlement européen l’initiative de colégiférer et le pouvoir de codécider,
– et qu’elle eût sacralisé la Charte des droits fondamentaux que nous pleurons parfois de voir bafouée en la constitutionnalisant justement,
nous n’en serions sans doute pas à tâcher de l’expliquer ici et maintenant. C’est à mon sens le faux-ami et l’argutie la plus conséquente de l’histoire de la construction européenne, parce qu’ils reposent sur ce qu’on appellerait aujourd’hui une fake news. Néanmoins chacun sait combien il est plus aisé politiquement de montrer du doigt une pseudo responsabilité européenne à nos malheurs alors que nos problématiques politiques difficiles à traiter, qui exigent bien sûr volontarisme, sont bel et bien nationales.

Trois Conseils à ne pas confondre

Aussi à mon sens une illustration concrète de ce type d’erreurs d’analyse, pas toujours conscientes, est celle de la confusion entre les 3 conseils.
Je parlais d’éléments pour bien comprendre l’actualité européenne, et effectivement il est utile de revenir sur les 3 types de Conseils qui existent lorsque l’on parle Europe et Union européenne. Cet exemple va d’ailleurs très bien illustrer la différence entre l’Europe, le continent et l’Union européenne, l’entité politique. Pas de pression sur la différenciation entre les conseils, on a des ministres français qui ne savent même pas faire la différence !

Commençons par le plus simple : le Conseil de l’Europe. C’est une organisation intergouvernementale qui existe depuis 1949. Ses missions sont assez larges mais de manière générale, le Conseil de l’Europe promeut les droits de l’Homme via la convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe est d’ailleurs une référence pour les citoyens des 46 pays qui composent l’organisation. Chose importante à savoir, le Conseil de l’Europe n’est en aucun cas compétent en matière de défense, contrairement à ce que l’on a pu entendre depuis le début de la guerre en Ukraine.
Les auditeurs l’auront compris : à l’inverse des deux prochains conseils, le Conseil de l’Europe n’a rien à voir avec l’Union européenne.

Nous en venons au Conseil européen qui est l’un des trois piliers institutionnels de l’Union européenne. En effet, au Conseil européen ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui y siègent. C’est une institution dont l’efficacité se vérifie en temps de crise : crise grecque, crise de dette souveraine, crise migratoire. Cette assemblée est aussi la fin de la boucle institutionnelle européenne. La grande majorité des décisions et des projets proposés par la Commission européenne sont validés lors des réunions dites de sommet.

Le Conseil de l’Union européenne représente lui aussi les 27 États membres mais selon les domaines de compétences débattus. Par exemple, si le sujet repose sur l’agriculture, se sont les 27 ministres de l’agriculture qui sont présents à la réunion. La particularité de ce Conseil est sa présidence qui est tournante, c’est-à-dire que tous les 6 mois un État coordonne l’agenda politique de l’Union européenne. En ce moment, c’est la Suède qui préside dans un mois, c’est l’Espagne qui prendra cette place.

Cour européenne des droits de l’homme et Cour de justice de l’Union européenne

La confusion est fréquente entre CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) et CJUE (Cour de justice de l’Union européenne)  … et sans parler des cours pénales et autres juridictions.
Ce qu’il faut bien comprendre c’est que la CEDH dépend du Conseil de l’Europe. La Cour peut être saisie d’une requête par un État ou « par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui s’estime victime d’une violation ».
Par exemple, Eric Zemmour après une condamnation par les tribunaux français au sujet de propos visant les musulmans, le polémiste est allé saisir la CEDH pour essayer de casser le jugement français, c’est un droit que permet la CEDH tant que le sujet rentre dans les prérogatives de la Cour. Mais cette tentative à échouée. Et pour rappel le Conseil de l’Europe est compétent pour tous les États européens sauf la Biélorussie et la Russie, pour des raisons évidentes.
Pour ce qui est de la CJUE, la Cour de justice de l’Union européenne, c’est l’une des 7 institutions de l’Union européenne. Son rôle est fondamental puisque c’est là qu’est vérifié l’application du droit européen dans celui des États membres.
Récemment la Commission européenne a saisi la CJUE contre la Pologne parce que le Tribunal constitutionnel polonais avait pris une décision remettant en cause la primauté du droit européen.

Ce que décide ou pas l’Union européenne

Enfin et pour être des championnes et des champions du fait européens on vous donne 2 conseils infaillibles pour suivre les nouvelles du continent : le premier c’est de dire que “Bruxelles décide, interdit, fait” reste très flou puisque – vous l’avez compris avec cette chronique – les décisions peuvent venir de différentes institutions. Les 3 plus importantes sont la Commission européenne qui défend les intérêts de l’UE, le Conseil européen qui défend les intérêts des États et enfin le Parlement européen qui défend les intérêts des citoyens.

Et le deuxième élément est ce que l’on appelle le droit dérivé, c’est le niveau de contrainte juridique imposé par les textes de l’Union européenne. Il y a le règlement avec le plus de contraintes en passant par la directive, la décision, la recommandation ou encore l’avis. Et quand on cherche un peu on se rend compte que chaque type de texte porte bien son nom. Par exemple, quand la Commission européenne recommande une réflexion sur la pêche dans les aires marines protégées, elle ne force, pour le moment, la main à personne, contrairement à ce qui a pu être dit.