Plus qu’un métier de l’alimentation, aujourd’hui c’est toute une filière que nous examinons, celle de la viande, qui s’est tellement spécialisée et transformée que l’Université des sciences et pratiques gastronomiques se demande ce qu’est devenue la boucherie, surtout dans un contexte où la consommation de viande est remise en cause pour des questions écologiques et éthiques.
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Une fois par mois dans Lem, on s’installe à la table de l’Université des sciences et pratiques gastronomiques pour s’interroger sur la cuisine, l’alimentation au sens large, de la production à la dégustation… comme phénomènes sociaux, environnementaux, économiques.
Cette saison, on revisite les métiers nourriciers et les personnes qui réinventent ces métiers dans un contexte de transition écologique et climatique. C’est particulièrement intéressant en ce qui concerne la viande car il s’agit aussi de notre rapport au vivant et à la souffrance animale.
Boucher, un métier qui disparaît ?
La boucherie, c’est l’art de découper la viande. Mais plutôt la viande de boeuf, de mouton voire de cheval puisque la découpe du porc est vouée majoritairement à la charcuterie. Mais cet art de découper la viande semble lui-même se perdre et se diluer du fait de la spécialisation de la filière viande.
Jusqu’au XIXe siècle, le boucher était aussi un propriétaire terrien qui pouvait donc faire élever les races bovines qu’il souhaitait travailler. Il les abattait lui-même et les transformait ensuite, maîtrisant l’ensemble de la chaîne, de la production à la préparation de la viande. Cette dernière était alors un met de luxe qu’on ne consommait que rarement voire jamais, sauf quand on était fortuné.
C’est l’industrialisation et la production en masse qui ont transformé ce métier, par l’apparition des abattoirs privés pour gérer les énormes volumes d’animaux à abattre. La filière s’est totalement réorganisée et aujourd’hui la séparation est nette entre élevage, abattage et première découpe, et traitement final avant vente, dans les boucheries artisanales où celles des supermarchés. Au point que le geste de boucherie s’est parfois fortement réduit, si la viande arrive prédécoupée en sortie d’abattoir. On perd aussi la culture des différents morceaux de viande bovine : gite, noix, macreuse… Dans les étals de boucherie, on nous propose une barquette « à bourguignon » ou pour « pot-au-feu » sans qu’on sache exactement de quels morceaux il s’agit, ce qui peut changer radicalement le goût ou la texture d’un plat. Il existe toujours des bouchers mais très peu (voire aucun) ont finalement un accès à l’ensemble du travail de la viande, du choix de l’animal « sur pied » à la vente et au conseil.
L’animal rendu presque invisible
La massification de la découpe de viande et l’apparition des abattoirs ont aussi « fait disparaître » le sacrifice de l’animal. Les éleveuses et éleveurs n’y prennent plus part. La plupart des bouchers non plus. L’abattoir est ce lieu fermé, souvent d’ailleurs objet de suspicions, dans lequel les animaux sont peut-être mal traités… Ils sont tués à l’abri des regards et on perd la conscience du sacrifice de l’animal, autrefois très familier.
Deux débats sont venus rebattre les cartes de la viande. Le changement climatique d’abord, et le fait que la production de viande demande davantage d’énergie (et d’eau) que la production végétale, qu’elle génère des gaz à effet de serre (le méthane produit par l’estomac des bovins notamment, pointé récemment par la Cour des comptes). Le modèle actuel de production est tourné vers l’exportation et l’importation plutôt que vers le circuit national ou régional, il génère aussi des transports. Le souci du bien-être animal et un autre rapport au vivant et aux non-humains soulèvent aussi des questions quant à notre consommation de viande, des plus extrêmes (choix du véganisme) aux plus nuancées (privilégier une viande de qualité uniquement). On peut y ajouter les préoccupations de santé publique qui incitent aussi à une moindre consommation carnée.
Une filière viande en circuit court
Dans ce contexte, le modèle de production intensive d’animaux « de batterie » (les volailles en sont l’emblème) est remis en cause… sans pour autant réellement susciter la création de filières de viande plus locales. Il faudrait pourtant y réfléchir et faire réfléchir ensemble les éleveurs et éleveuses qui s’intéressent aux races locales, les collectivités soucieuses d’un service public comme les abattoirs intercommunaux ou autres ateliers de découpe locaux, centrés sur la proximité et pas uniquement la rentabilité ; une expérimentation menée en Bourgogne par le Boeuf éthique a montré qu’un abattoir mobile allant de ferme en ferme était une solution viable et sans risque sanitaire, à condition de trouver les débouchés pour la viande ensuite (de nouveaux types de commerces à inventer ou à encourager ?). Du point de vue du boucher, dans cette organisation en circuit court, il redeviendrait intéressant et formateur de travailler les produits « de l’étable à la table », en impliquant les autres acteurs de la consommation : restauration collective, restauration privée, éducation populaire, etc.