Pour clore cette saison de géographie sensible et littéraire, Antoine Lauginie nous propose de baguenauder par les chemins familiers. A rebours des grandes randonnées, célébrons la petite promenade de proximité !

Par Antoine Lauginie

À Douarnenez où je vis, je parcours en toutes saisons, au moins 2 à 3 fois par semaines un même chemin, celui des Plomarc’h. Et à chaque fois c’est le même bonheur, le même ravissement, tout s’apaise. Oh, ce n’est pas long, à peine 1 kilomètre, et pourtant je ne me lasse jamais de ce parcours où je goûte à chaque fois la beauté du monde, celle des arbres, des haies, des oiseaux, de l’océan…

Ces modestes marches quotidiennes qui tiennent plus de la promenade que de la randonnée sont ma façon d’habiter le territoire où je vis.

Alors, pour terminer avant l’été cette série d’émissions de géographie sensible et littéraire, j’ai choisi de faire l’éloge des chemins que l’on reconnaît comme les nôtres, chemins qui aimantent nos pas et par là dresser une sorte d’éloge de la flânerie, de la déambulation sans but précis, bref de la promenade contemplative… « Prendre l’air était notre métier » comme l’a écrit ou dit Georges Perros qui lui aussi a vécu à Douarnenez… belle profession de foi, belle raison sociale à laquelle je souscris pleinement !

Voici donc un éloge de la petite promenade, au travers de quelques textes d’écrivains marcheurs plutôt que d’écrivains voyageurs.

L’importance de ces promenades de proximité, autour de chez soi

Ces petites promenades souvent jugées ringardes, qualifiées avec condescendance de « promenades du dimanche », je vais laisser la parole à Martin de la Soudière, ethnologue du monde rural et en particulier des plateaux de Margeride et dont le dernier livre, paru en 2019, porte un titre évocateur Arpenter le paysage.

Dans un premier passage (p. 12 à 16), Martin de la Soudière s’interroge sur la grande famille des écrivains marcheurs : alors flâneurs, randonneurs ou voyageurs ? Il est question de procession plus que de pèlerinage au long cours ou de troménies, d’une promenade « quotidienne » infiniment répétée sans but pré-établi, du temps ouvert et de la liberté.

Dans un entretien autour de ce livre, Martin de la Soudière revient sur la signification du beau qualificatif d’arpenteur : arpenter le territoire pour entrer dans le paysage et non traverser le paysage, et c’est en l’arpentant sans relâche que nous nous fabriquons notre territoire « intime » et personnel.

L’appel des chemins, une attraction irrésistible

Avec Jacques Réda, poète, merveilleux piéton de Paris et de ses banlieues, mais aussi adepte du train et de ses lignes secondaires comme dans le recueil « Nouvelles impressions ferroviaires » dont est tiré le poème que je vais lire – recueil réuni dans le livre « Retour au calme »… tout est dit !

Avec Pierre Tanguy, poète vivant dans le Finistère, qui dans son dernier livre « La cueillette des mûres », paru en 2021 à la Part Commune, nous rappelle que suivre un chemin c’est regarder, sentir, être attentif aux petites choses et ne pas rater mûres et pommes oubliées… glanage et grappillage au fil des pas, bonheur qui souvent se rattache à l’enfance. C’est aussi une approche multisensorielle de la balade : avec saveur, odeurs, bruits…

Pierre Tanguy nous a ramené par ici, du côté du bocage breton, de ses talus et chemins creux bordés de haies vives. Comme aux Plomarch à Douarnenez, le bonheur des chemins, de la promenade nez au vent, est pour moi accru là où le bocage a été conservé. Bocage qui nous ouvre tout un monde de verts, de lumières et d’ombres, de mousses et de fougères, de pépiements d’oiseaux.

En suivant le bocage

Pourtant, il n’est pas facile de trouver des textes bretons disant ce paysage caractéristique et célébrant ces chemins du bocage où se perdre avec bonheur.
Je fais donc un pas de côté, en Normandie dans le Pays d’Auge avec Gil Jouanard, écrivain expert en rêveries paysagères… Gil Jouanard le Montpélliérain s’est ici baigné dans un monde d’eau et de verdure, habité par la pluie. Titre du recueil de textes : L’oeil de la terre (tiré de Gaston Bachelard, le philosophe de « l’eau et les rêves » : « L’oeil véritable de la terre, c’est l’eau »).

Si cette célébration des chemins et de la simple promenade se rencontre chez nombre d’écrivains, pour certains c’est là où l’écriture s’enracine.

Écritures nourries de marches « autour de la maison »

Je pense ici au poète Philippe Jaccottet qui a vécu de 1954 à sa mort à Grignan dans la Drôme et dont il parcourait les collines voisines dès potron-minet pour des marches méditatives dans ces paysages où il n’a cessé de revenir toute sa vie, lui qui écrivait :

« Même sédentaires, même casaniers, nous ne sommes jamais que des nomades.

Le monde ne nous est que prêté. »

ou encore à Joël Vernet autour de Saugues, son village natal, en Margeride lui dont le titre d’un recueil porte le titre magnifique « Marcher est ma plus belle façon de vivre »… et un autre « Carnets du lent chemin », chemins parcourus aux confins de la Haute-Loire et de la Lozère et chemin de l’écriture… écriture poussée par les pas de ces piétons singuliers.

Mais je citerai ici un autre de ces auteurs, René Frégni, dont les paysages coutumiers nous entraînent loin du bocage, par les chemins qui montent au-dessus de Manosque où il vit pour se perdre sur les plateaux de Haute-Provence. Dans ses livres, la marche est toujours là, glissée dans le fil du quotidien. J’ai choisi 2 passages de « Je me souviens de tous vos rêves » où René Frégni dit ce lien essentiel pour lui entre ses promenades et son écriture (p. 13-15, p. 66 et p. 152-153)

Musique – Cat Power Wanderer (2’15) – Pour la douce mélancolie de ce morceau qui va bien avec la marche contemplative et son titre qui signifie « errant – vagabond »… très bel album de 2018.

Bibliographie :

  • Arpenter le paysage. Poètes, géographes et montagnards au pied du mur, Martin de la Soudière, Éditions Anamosa, 2019.
  • Retour au calme, Jacques Réda, Éditions Gallimard, 1989.
  • La cueillette des mûres, Pierre Tanguy, Éditions La Part Commune, 2021.
  • L’œil de la terre, Gil Jouanard, Éditions Fata Morgana, 1994.
  • Je me souviens de tous vos rêves, René Frégni, Éditions Gallimard, 2016.
  • La semaison. Carnets 1954-1979, Philippe Jaccottet, Éditions Gallimard, 1984.
  • Carnets du lent chemin. Copeaux (1978-2016), Joël Vernet, La Rumeur libre, 2019.
  • Marcher est ma plus belle façon de vivre, Joël Vernet, La Part des Anges, 2008 ; rééd. L’Escampette 2014.